Aujourd’hui on va parler télé-réalité et architecture. Comment,
peut-on associer les deux ? Et oui, France 3 a relevé le défi avec « Le Chœur
du village ».
Cela vous dit quelque chose ? C’est une série de 6 épisodes dont les 3
premiers ont été diffusés lundi soir à 20h45. Si, comme nous, vous avez fait
partie des 4,2 % de part d’audience.
DE QUOI ÇA PARLE ?
"Le Chœur du village' est un feuilleton du réel qui se déroule à
Peyrehorade, un petit village du Sud-Ouest, à la frontière du Pays Basque et
des Landes.
Il raconte l'histoire de villageois qui se mobilisent durant six mois pour
transformer ensemble bénévolement un bâtiment – les anciens abattoirs du
village laissés à l'abandon – en une école de musique pour tous. La
municipalité ne pouvant assurer la totalité du financement de la rénovation,
les bénévoles peuvent œuvrer de deux manières : soit sur le chantier, soit dans
une chorale qui donne des concerts et dont les recettes servent à boucler le
budget des travaux.
Mélanger « Tous ensembles » avec « N’oubliez pasles paroles » et rajoutez « Midi enFrance », mettre du
croustillant, de l’émotion et un zeste de suspense (hoou j’ai peur) et vous
obtenez l’émission en 100 jours de tournage.
Passionnant … Et bien, en tout cas, le projet est très intéressant. Non,
pas le côté chorale (ils ont fait un super tube mais bon c’est moins
notre kiff pour ce blog) du point de vue d’une expérience collective autour de
la rénovation d’un édifice. Et voilà, entre effet média (et oui le montage
vidéo peut transformer un message) et les caricatures de chantier (UNE
architecte au milieu d’artisans « mâle »…) ça commence bien. On a voulu en
savoir un peu plus sur les coulisses de l’émissions. Quoi de mieux que de
prendre directement nos sources auprès de l’architecte elle-même, Isabelle
Joly… rendez-vous téléphonique pris à nos clavier, on y va.
GENÈSE DU PROJET
Tout projet de réhabilitation public, me direz-vous, vient du maître
d’ouvrage logique. Et bien non, c’est France 3 qui a lancé un appel aux
communes pour la réalisation d’un tel projet. La commune de Peyrehorade
possédait un projet au fond du placard qui pouvait correspondre et a profité de
cette opportunité pour le réaliser. Isabelle Joly a eu un peu plus tard la
surprise d’un appel de la direction de France 3 lui proposant de participer au
projet. Concevoir, réaliser et finaliser des travaux en 4 mois avec l’aide de
bénévoles (amateurs) et de quelques professionnels non sensibilisés au
patrimoine, un vrai défi. Elle accepte très vite son rôle, trouvant le projet
original, convivial et fort intéressant.
(via) |
UN CHANTIER D'UNE VALEUR PATRIMONIALE AU STATUT COMPLIQUÉ
Le projet est la réhabilitation d’un ancien abattoir datant des années
1920. De style Art-Déco, le bâtiment témoigne, par son mouvement architectural,
de la création des stations balnéaires de la région comme par exemple les villes de Biarritz,Guéthary, St Jean de Luz ou celle de Bayonne. L’édifice est en
béton, il possédait, à l’origine, une toiture terrasse très vite recouverte par une charpente à 4
pans suite
à de probables infiltrations.
Les abattoirs appartiennent à la commune de Peyrehorade dans le département
des Landes mais se situent sur la commune d’Oeyregave, ce qui n’est pas pour
simplifier les procédures administratives.
L’édifice est un bâtiment non classé, mais d’une valeur patrimoniale
certaine par son style architectural innovant et le sentiment d'appartenance de
la population. Toutefois, il fait parti d’un périmètre de protection de 500m
d’un Monument Historique : le château de Peyrehorade ce qui oblige un avis
conforme de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF). Autre difficulté, le
terrain est en zone inondable.
DÉROULEMENT DU CHANTIER
La difficulté majeur du chantier, se sont les délais imposés
par la production France 3 de 100 jours qui ont été la contrainte principale.
Il a fallu gérer “tout en même temps” : la conception, la procédure
administrative et la gestion du chantier.
Dans le film, on voit la réunion de présentation du permis de construire à
la municipalité sachant que les travaux ont déjà commencé. Une certaine
incompréhension s’installe entre le chef de chantier et l’architecte. Cette
dernière semble être là un peu par nécessité juridique plutôt que pour
ses compétences en tant qu'architecte du patrimoine. Elle semble en effet avoir
saisie l’âme du bâtiment avec une démarche économique en réutilisant les
matériaux en bon état existant. Le chef de chantier, choisi par la production,
a du mal au début à comprendre ses idées. Mais, très vite, chacun fait des
concessions et un respect mutuel s’installe.
Promis, le chantier se finit dans les temps, vous pourrez regarder la suite
de cette aventure lundi 22 avril à 20h45 sur la chaîne France3 (ça, on là assez
dit).
LE RESSENTI D'ISABELLE JOLY
Nous avons voulu savoir ce qu'en pensait l’architecte pour avoir sa version
de l’expérience.
Tout d’abord, elle ne regrette pas d’avoir participé à ce projet qu'elle
trouvait, dès le départ innovant dans le domaine de la télé-réalité car
non-nombriliste et tourné sur l’aspect collectif.
Elle s’est vite rendu compte de la grande implication de la production
France 3 qui a dirigé en imposant les délais mais aussi les différents
intervenants même professionnels. Cette dernière n’a pas pris en compte les
impacts environnementaux, patrimoniaux et les délais des marchés publics (mise
en concurrence) qu'implique une procédure ordinaire.
réunion de chantier (via) |
L’architecte s’est confrontée à des choix pris sans son aval, ce qui l’a
mis en porte-à-faux entre ses responsabilités, les délais à respecter et
l’effet médiatique. Les décisions finales qu'elle a prise ont privilégié
l’usage du bâtiment : une utilisation d’un édifice contribue à sa conservation
et elle a veillé à la réversibilité des interventions entreprises (exemples des
volets et de la mezzanine).
Nous lui avons demandé si elle trouvait l’émission fidèle à la réalité. Sa
réponse : oui, elle représente la réalité mais le montage a scénarisé les faits et a
modifié le message initial. Certains passages ont été coupés, dont ceux où elle
explique le projet et ses décisions. Si, elle impose des consignes de sécurité
et des réglementations à respecter, ce n’est pas dans le but de ralentir le
chantier. En cela, le rôle de l’architecte est caricaturé et montre une image
peu valorisante. La production de France 3 a tout fait pour appuyer cette
image, allant même jusqu’à demander aux intervenants de se critiquer les uns
aux autres. Après la diffusion des 3 premiers épisodes, elle a été un peu déçue du
résultat et se questionne sur l’impact auprès de ses confrères et du public.
CONCLUSION
Alors, est-ce une émission télé ou un projet d’archi? Au vue de le prise en
compte des réalités du monde de la construction (demande administratives,
délais), on penche clairement pour de la communication télévisuelle. Cependant,
nous constatons que le projet à lui, bel et bien été traité malgré ces
contraintes. Nous regrettons que cette émission n’est pas été un support pour
la valorisation du patrimoine mais un prétexte pour la réalisation d’un projet
musical.
Pour nous, l’architecte a eu un comportement très professionnel. En rien
elle ne déshonore la profession de notre point de vue. Mais, pour le grand
public, ce n’est pas gagné !
Et vous qu’en pensez-vous ?
Merci à Isabelle Joly, qui a pris le temps de nous répondre.
Pour voir ou revoir l’émission : ici
Aurore B. et Laure B.
Enfin Vis[LE] s'émancipe pour devenir adulte, abandonnant la communication seulement visuelle pour avoir une réflexion de fond sur l'acte de batir. Il faudra trouver l'équilibre entre les deux pour satisfaire la multiplicité de l'expression architecturale, c'est un premier pas encourageant mais il est difficile de s'impliquer personnellement comme acteur de son environnement et porter un regard critique sur la production.C'est pourtant la reflexion qui permet l'évolution.
RépondreSupprimer
RépondreSupprimer@ Laure et Aurore: L'article est très intéressant et permet enfin de voir les coulisses de ce genre d'émission qui sont largement critiquables quand on connait les réalités des temps de réflexions et d'exécution des projets, comme pour les maçons du coeur ou même DECO... La rapidité des chantiers est toujours douteuse, ou encore le style donné aux maisons redécorées est toujours stéréotypé... L'un des plus grands scandales est le présentateur de TF* qui vient faire son beau sur le plateau et tenir la truelle au moment du passage de la caméra... alors qu'il n'y connait sans doute rien.
A voir comment ce bâtiment finira pour ce village. En tout cas, c'est toujours chouette de voir des projets communautaires de ce genre et merci à Isabelle Joly pour son retour d'expérience.
@Daniel : il est vrai que les articles sont inégaux. Cela vient notamment du fait que le blog n'est pas notre activité première, des sujets que nous souhaitons abordés individuellement et du type de rubriques dans lequel l'article s'intègre où le contenu n'est pas traité de la même manière. La diversité de nos spécialisations (archi, urba, géo, théorie, patrimoine) fait que la question de l'acte de bâtir n'est qu'un sujet parmi d'autre autour de la question de la démocratisation de la ville et des différents territoires urbanisés, qui est le cadre fédérateur de notre collectif. Nous essayons d'avoir un certain équilibre depuis 3 ans entre article de fond, initiation à la curiosité, et mise en valeur de manière simple des composantes de la ville.
En tout cas, si il y a des articles que vous souhaitez voir approfondis, ou si vous voulez écrire des articles pour continuer dans cette dynamique, n'hésitez pas à nous contacter. Nous sommes très friands de ce genre de remarques pour améliorer notre contenu et les nouvelles contributions sont toujours les bienvenues.
- charline -