30 octobre 2012

SECRET DES VILLES | VIVRE AVEC NOS MORTS EN VILLE : QUELLE PLACE POUR LES CIMETIÈRES AU XXIEME SIÈCLE ?

La Recoleta Cemetery, Buenos Aires (via)

Il y a peu de temps, j'ai eu un débat avec des amis sur l'intérêt des cimetières en ville ! Sujet délicat (et polémique?), ces espaces sont de véritables enjeux urbains à l'heure où nous consommons de plus en plus d'espaces.
La Toussaint et Halloween étant cette semaine, je me dis que c'est l'occasion pour aborder la question de ces espaces publics atypiques.


NOTE PRÉLIMINAIRE SUR LE CONTENU DE CET ARTICLE

N'étant pas experte sur les cimetières, et sur le rapport de ces lieux avec les religions, je vais essayer d'avoir le regard le plus objectif possible en tant qu'architecte-urbaniste, et d'apporter des informations fondées dès que cela m'est possible. Je vous l'accorde : mes impressions personnelles, mon regard sensible et plus subjectif, risquent d'être présents dans mes observations car je suis également un usager lambda.

Je ne sais pas vous, mais pour moi, c'est par le voyage et en découvrant d'autres cultures que j'ai développé cette curiosité pour les cimetières et je souhaite vous la faire partager. En tant qu'espace spécifique dans la ville, je me pose aujourd'hui DEUX questions existentielles :
1. Quel paysage doivent-ils offrir ? parce que je me demande pourquoi les cimetières me paraissent beaucoup plus sympas et agréables ailleurs qu'en France ? Par chez nous, ils me paraissent tellement tristes et gris que ça me rebute un peu et nous voyons de la couleur seulement une fois dans l'année, au 1er Novembre.
2. Quelle place aujourd'hui pour les tombes en ville ? N'existe-t'il pas des moyens alternatives pour optimiser leur place ?
Bref, j'espère que vous m'aiderez à y répondre.


CIMETIÈRE = INTOUCHABLE ?

Le cimetière a une image sacrée, mystifiée, où règne le silence, le calme, et incarne le repos. Ça influe directement sur notre comportement : nous essayons de ne pas faire de bruit et d'être discret, nous marchons solennellement comme une manière de rendre hommage à tout ces morts. Ça me rappelle les fois où je me surprends en train de chuchoter lorsque je visite ce genre d'endroit avec des copains.

Dans ces territoires de ville prenant des emprises monumentales, nous connaissons tous une personne enterrée. Au-delà de l'espace commémoratif ou d'un cadre connu pour de tristes faits divers (profanations par exemple), j'ai tout de même l'impression que nous en parlons peu en termes d'espaces urbains/espaces publics composant la ville, source de renouvellements ou de grands projets urbains possibles.
Pourquoi ai-je le sentiment que l'on veut nous les cacher ? Sacrilège d'en parler ? D'y toucher et de les transformer ? Est-ce que c'est un impact de notre culture funéraire ?

Cimetière à Wien (Photographie : Charline Sowa)


UNE STRUCTURE SPATIALE PROPRE 


Un cimetière se compose de différents types d’espaces qui ont chacun leurs caractéristiques. Selon mon référentiel, le cimetière traditionnel-français, il se compose d'une entrée principale permettant de nous retrouver, avec souvent un point d'accueil abritant la personne chargée de la gestion du site. Ensuite, nous avons généralement une allée centrale où se connectent des allées secondaires qui desservent les différents caveaux, tombes ou columbarium (espaces dédiés au urnes). Nous pouvons également trouver des locaux techniques, un ou des lieux de rassemblement et de cérémonie, des jardins pour jeter les cendres, etc.
Concernant son insertion urbaine, il y a quelques règles d'urbanisme mise en place en France dont la loi du 26 octobre 1943 qui impose un distance minimum réglementaire de 35 m entre le cimetière et les espaces bâtis.

Lorsque nous regardons les photographies suivantes, nous pouvons découvrir 4 cimetières, de pays et de cultures différentes. D'une manière générale, ils paraissent identiques, excepté le dernier où les tombes ne sont pas structurées autour d'une trame. Ils sont similaires sur un point : des axes majeurs desservent de long en large l'ensemble du site. Leur insertion et leur emplacement dans le milieu urbain sont intéressants à observer. Le cimetière français a été placé à proximité d'une gare ferroviaire, un lieu de nuisance importante, mais cette disposition vient renforcer la fracture urbaine entre les différents quartiers pouvant rendre leurs connexions difficiles ; ou encore le cimetière iranien a été placé en périphérie de la ville qui, aujourd'hui, commence à l'englober. Le cimetière d'Hollywood est clairement inscrit au coeur de la grille urbaine de la ville, structure urbaine spécifique à la ville américaine. Nous pouvons constater que les traitements paysagers sont différents d'un pays à un autre. La végétation est plus ou moins dense et ceci est dû à la culture funéraire de chacune des religions, de la culture paysagère du pays dans lequel il s'inscrit, mais aussi du climat. Par exemple, en Allemagne ou au États-Unis, ce sont des lieux qui sont beaucoup plus considérés comme de grands parcs urbains.
De gauche à droite, de haut en bas : 
Cimetière de Bagneux (Région Parisienne) / Cimetière Juif de Berlin dans le quartier de Weissensee (le plus grand d'Europe) / Cimetière musulman Behest-e Zahra à Téhéran en Iran.

Nous pouvons voir que les cimetières ont une emprise importante sur le territoire qui se compte en km². Par ses proportions, ils peuvent être parfois ressentis comme une frontière infranchissable, une fracture dans l'espace urbain par les piétons et autres usagers de la ville. Ils doivent être contournés. Cela interroge la limite de la monofonctionnalité de l'espace dans une société qui prône la mixité des usages. Le cas du cimetière des Batignolles vers Paris est intéressant, car la morphologie du territoire a permis une superposition des usages : le boulevard périphérique passe au dessus du cimetière.

Cimetière des Batignolles (via)


LE PAYSAGE, SPÉCIFICITÉ DU LIEU ET PARTICIPANT AU INTERACTION AVEC LA VILLE

Chaque cimetière propose un cadre de balade unique, selon sa position dans la géographie du territoire (en hauteur ou non), le traitement de ses limites avec la ville (murs immenses ou transparences avec l'extérieur), le cadre végétal, la forme des tombes et des stèles, les décorations, etc.
La succession d'images qui suit montre cette variété, et j'ai fais en sorte de choisir des cimetières ne se trouvant pas dans un contexte français. Cette sélection a pour but de nous interroger sur la manière dont nous voulons les considérer en ville : est-ce que nous voulons les cacher ou les montrer ? quelle ambiance  nous voulons y trouver ?

Cimetière Monumental de Milan (photographie : Aurore Blonde)
Sulina, en Roumanie, et son cimetière regroupant des tombes de différentes religions (photographie : Charline Sowa)
De gauche à droite, de haut en bas :
Banska Bystrica (Slovaquie), Cappadoce (Turquie), (photographie : Charline Sowa)
Skogskyrkogarden (Suède, via), Calvary Cemetery Queen (New-York, via)
Cimetière Japonais (via), Cimetière de Chefchaouen (Maroc, via)


FACE CACHÉE DE LA VILLE ? UN LIEU  POURTANT EXISTE DE MULTIPLES USAGES ET VISAGES 

Un cimetière est un véritable espace collectif, partagé par les citoyens de la ville et du monde. Mine de rien, c'est là où peuvent se croiser n'importe quel individu, quelque soit son statut social, sa couleur de peau, ses origines ethniques, etc. Ces différences se verront sûrement dans l'ornementation de la tombe, mais ceci nous montre bien que nous sommes tous égaux face à la mort.

1. Un espace de rassemblement et de cérémonie
La dimension religieuse est un élément central à la fondation du cimetière. C'est un espace qui accueillent des groupes de personnes autour d'un "évènement" collectif, dans le cadre d'une cérémonie par exemple. L'espace proposé autour de la tombe et autres éléments de recueillement doit être suffisamment grand pour des regroupements d'individus.
Mont des Olives, Jérusalem (via)

2. Un espace d'isolement et de recueillement en mémoire de nos proches
Seul, nous venons nous souvenir, rendre hommage au défunt. Nous faisons face à l'objet "tombe" qui est un élément individuel et personnel, installé parmi une multitude d'autres.
Cela m'interroge en termes de structure du lieu et de formes architecturales :
- Comment passer du collectif à l'intime en plein air, d'autant plus quand différentes personnes viennent se recueillir individuellement ?
- Le spirituel et l'abstraction de l'environnement servent-ils d'appui pour formaliser une architecture mentale de l'espace de recueillement ?
Falluja, Iraq (via)
(via)

3. Un lieu de mémoire collectif et d'histoire 
Monuments aux morts, cimetières militaires, tombeaux de célébrités qui ont fait l'histoire ou qui ont eu un impact fort dans notre quotidien... Des milliers de personnes se retrouvent pour commémorer leur mémoire et se recueillir autour de ces points spécifiques des cimetières. Ils aident au souvenir et à la construction de notre histoire, celle de notre pays et du monde. Le cimetière, et les tombes spécifiques deviennent des éléments d'animation pour la ville, voire un support pour le développement touristique.
Comment le mettre en avant et le valoriser en milieu urbain ?
A gauche : Tombe de Camillo Sitte (Wien-Autriche) / A droite : Caveau de la famille Haussmann (père Lachaise)
(Photographies : Charline Sowa)
 Tombe et monuments aux morts (Père Lachaise)
(Photographies : Charline Sowa)

4. Un espace de détente et de loisirs
L'une des premières images que j'avais des cimetières était celle d'un lieu uniquement dédié aux repos des morts pour être directe. Lors de mon voyage en Roumanie et en découvrant des photographies d'habitants,  mon regard a commencé à changer. Selon les religions, ils se transforment en espaces festifs pour de grandes fêtes religieuses, comme en Europe de l'Est pour Pacques. Avec l'évolution de son intégration paysagère, notamment dans les pays anglo-saxons et germaniques, ou encore, dans un besoin d'espaces comme dans certaines villes en plein explosion démographique, les cimetières sont transformés en véritable parcs urbains et lieux de vie au coeur des habitations.


 Cimetière de Navotas, dans la baie de Manille, Philippines (via)
Cimetière Saint Thomas, Sydney (via)
Pique-nique pendant la période de Pacques, village de Toulgovitchi, Biélorussie (via)

5. Un espace pour certaines libertés artistiques, parfois discutables...
Les cimetières sont aussi des lieux où nous pouvons dénicher quelques bizarreries, qui font leur originalité, leur particularité et pouvant les rendre attractifs. Parfois supports pour des jeux de pistes morbides, ses tombes nous rendent curieux, voire même moqueurs, mais elles donnent une pointe d'humour à ces lieux parfois tristes.
Tombe et caveau au Cimetière Monumental de Milan (photographie : Aurore Blonde)
 Tombes diverses...

6. Un point d'eau gratuit
Ce dernier point peut être bon à connaître. Au conseil des camping-caristes, les cimetières sont apparemment bien pratiques pour remplir les conteneurs stockant l'eau.


EN TANT QUE MONUMENT HISTORIQUE, LES CIMETIÈRES PEUVENT ÊTRE DE VÉRITABLES LIEUX TOURISTIQUES.

Leur histoire ou les personnes qu'ils recueillent, leur architecture et forme urbaine, sont très souvent support au développement de l'économie touristique. En voici quelques exemples...

France, Colleville-sur-Mer - Cimétière Américain (via)
République Tchèque, Prague - Cimetière Juif (via)
Inde - Taj Mahal, Agra (via)
Royaume-Uni - Cimetière de Highgate (via)

Mausolée turque à Sainte-Sophie, Istanbul, (photographie : Charline Sowa)

Sans oublier, les japonais qui aujourd'hui développent un tourisme particulier : le tourisme de cimetière dans leur propre pays...



LES CIMETIÈRES DU FUTUR, A QUOI POURRAIENT-ILS RESSEMBLER ?

Nous pouvons imaginer que les cimetières comme nous les connaissons aujourd'hui, n'existeront plus, ils pourraient être de hautes tours accueillant tombeaux et urnes funéraires, ou encore une maison de forme quelque conque et recueillant nos cendres entourée de diverses autres maisons... Tout est possible. Avez-vous des idées !?

Pour nous donner de l'inspiration, voici quelques projets contemporains de cimetières...

+ Des caveaux d'un nouveau genre, exemple du cimetière monumental de Milan (photographie : Aurore Blonde)

Cimetière de San Cataldo, Aldo Rossi, 1971, Italie (via)

+ Cimetière de FisterraCésar Portela, 2001, Espagne (pour en savoir plus via)

+ Cimetière Aldeia da LuzPedro Pacheco + Marie Clément, 2000-2002, Portugal (pour en savoir plus via)

Le cimetière d'Igualada, Enric MIRALLES et Carme PINOS, entre 1985 et 1995, Espagne (pour en savoir plus via)

+ Cimetière Santo StefanoAldo Amoretti + Marco Calvi + Giancarlo Ranalli, 2006, Italie (pour en savoir plus via)

+ Cimetière islamique en AltachBernardo Bader, 2012, Autriche (pour en savoir plus via)

+ Les cimetières maisons du japon.
Je n'ai pas trouvé des images mais je vous invite à lire cette article :
http://japon.aujourdhuilemonde.com/tokyo-des-maisons-se-transforment-en-cimetieres


Photographies : Charline S., Aurore B. et google image
Écrit par : Charline S.

Sources :
http://www.obseques-liberte.com/menus/menu027.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_cimeti%C3%A8res_du_monde
http://www.caue60.com/docs/amenagement_cimetiere.pdf
http://www.caue85.com/Le-cimetiere-lieu-de-memoire-et-de.html
http://www.leparisien.fr/val-d-oise-95/c-est-le-cimetiere-du-futur-01-11-2011-1696230.php
http://www.archdaily.com/269407/islamic-cemetery-in-altach-bernardo-bader/
http://www.archdaily.com/17410/santo-stefano-cemetery-in-italy-amoretti-calvi-ranalli/
http://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=936154&langid=5
http://clairesanth392blog.blogspot.fr/
http://pays-de-la-loire.france3.fr/2012/10/28/nantes-la-mort-high-tech-131857.html
http://meilleurs-marbriers.com/galerie-photos/
http://blogs.motomag.com/fredeblog/index.php?category/Moto-insolite/page/2
http://oasis54.blogspace.fr/2342815/Un-tombeau-assez-original/
http://jewishmorocco.org/?page_id=1148&lang=fr

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