28 novembre 2012

POLITIQUE ET PRATIQUE | HOPE VI A CHICAGO


A l’instar du cas français, les américains ont à gérer les déconvenues des programmes de logements publics massifs qui ont été le dogme de l’urbanisme moderne. Cet article sera un aperçu des méthodes américaines employées à l’aube des années 90 pour tenter de corriger le tir. Je vous propose donc de prendre appui sur le cas de Chicago, ville à la fois unique aux Etats-Unis pour sa qualification de ville modèle, de ville laboratoire pour l’urbanisme (le volet de la sociologie, de la construction…), et dans le même temps, Chicago résonne comme la plupart des villes américaines avec une histoire qui entremêle crime, désinvestissement et pauvreté.

C’est relativement tôt que la recherche et l’action en faveur du renouveau urbain est née aux Etats-Unis. Dès les années 80, le nouveau fédéralisme prôné par R. Reagan engage à davantage de décentralisation et donc une amplification du rôle des collectivités et des Etats dans la lutte contre l’habitat précaire et indigne. Cette manœuvre annonce une grande liberté de mouvement dans les politiques de la ville pour les municipalités, et surtout pour les investisseurs privés. Pour Reagan, ils sont à même de faire la différence par eux-mêmes… aussi le budget national dédié à l’habitat social est coupé à hauteur de 87% en 1987 ! Et l’argent qui est reversé depuis le gouvernement  vers les échelons les plus bas, n’est pas placé dans le public. L’ennui c’est que cet argent public était le dernier garde-fou avant la vie dans la rue pour les personnes en situation de difficulté résidentielle.  Puis dans un effet de boule de neige,  la vie communautaire a éclaté face à la croissance et la militarisation des gangs, et la jeunesse aspirait à grandir avant même de trouver un emploi…

Cette situation intenable change avec le passage de B. Clinton dans le bureau ovale. Sa vision du problème repose dans la concentration de pauvreté et son idée est de « mix it up ! », soit mélanger les revenus. L’urgence est présente pour les résidents des logements sociaux, mais elle est également médiatico-politique puisque bon nombre d’américains considèrent ces logements comme un échec et un aspirateur à dollars !


Le quartier avant restructuration par HOPE VI (crédit Tom Slater)



Le mix it up démarre donc à Chicago, dans le South Side sous la tutelle de M. Vincent Lane qui dirige la Chicago Housing Authority. Le projet, « Lake Parc Place », colle avec la préoccupation de mixité puisque près de la moitié des résidents sont issus des classes moyennes. Une réussite s’il en est…

Cet élan sera poursuivi de 1993 à nos jours par le projet HOPE VI qui signifie Homeownership and Opportunity for People Everywhere qui s’établit à l’échelle nationale. HOPE VI c’est la volonté d’agir sur la forme urbaine, d’introduire la notion d’autosuffisance, d’indépendance, d’amener les résidents à être des employés des services présents dans le quartier, de forger des partenariats avec des ONG, des conseils de quartiers, des entreprises privées pour lever des fonds et bien sûr en promouvant toujours la mixité sociale en toile de fond.




Alors cette dépense énergétique et financière (7 milliards de dollars depuis 1993) est-elle fructueuse ? A-t-elle mis fin à la pauvreté urbaine des quartiers ? Dans un premier temps nous pouvons affirmer que la redynamisation de la situation a amélioré le quotidien, surtout pour les enfants. Les dégradations, les crimes, les négligences, et  la détresse des locataires ont reculé. Des solutions de relogement ont été apportées après destruction des anciens appartements… En revanche cette relocalisation a entrainé un stress chez les habitants. Les démolitions ont encore stigmatisé cette zone géographique et ses populations, elles ont également offert un terreau de choix pour la gentrification, et les logements abordables n’ont pas tous été renouvelés. Il y a là un dysfonctionnement dans le processus de relogement (le service, l’administratif, car certaines personnes ont été relogées dans des secteurs quasiment similaires à leur quartier d’origine (en terme de pauvreté). Enfin les causes structurelles et institutionnelles sont passées à la trappe dans la compréhension de la pauvreté urbaine.




La destruction des logements laisse place à un no man's land propice aux convoitises des capitaux privés (crédit Elvin Wyly)


L’ironie de l’histoire est que certains chercheurs en urbanisme pointent du doigt le fait que le programme HOPE VI fut plus dévastateur que bénéfique. La solution, pour ces experts, dont D. Hammel, aurait été de conserver le noyau d’associations présent sur le site afin de contrer les déplacements massifs…
On le voit, les américains tentent les mêmes méthodes que les français (injection de capitaux, développer l’emploi, travailler la forme urbaine…) mais sans grande réussite non plus. Aussi la question est-elle différente suivant l’urbanisme propre à chaque pays, là où le ghetto US n’a rien à voir avec le ghetto français… Mais ceci est un autre débat !

Pour en savoir plus :
Kotlowitz A. (1991) There are no children here
Venkatesh S. (2008) Gang leader for a day
Venkatesh S. (2002) American Project, the rise and fall of a modern ghetto

Écrit par : Raphael B.

Sources :
http://www.sudhirvenkatesh.org/
http://www.urban.org/projects/hopevi/index.cfm
Conférence sur les projets de logement à Chicago en 2009 à Edimbourg


4 commentaires:

  1. L'article est très intéressant, et c'est pas mal de nous avoir fait partager des programmes de renouvelles urbains qui se passent ailleurs.

    L'un des poins que je rejoins dans ce que tu dis c'est l'importance du coeur associatif dans ces quartiers. Ils sont fédérateurs d'initiatives et de cohésion chez les habitants à mon sens. Leur intégration me parait essentiel dans ce type de projet.

    De mon côté, je ne connais pas de projets de ce genre parfaitement réussis.

    La mixité sociale est un vaste rêve...

    PS : d'autres présentations de ce genre à venir ? Moi ca peut m’intéresser concernant la thèse. ;)

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  2. Salut !
    Merci pour ton retour positif !
    Les associations sont garantes d'un certain respect des populations locales, mais les garanties d'une opération réussie sont dans chacune des parties qui constituent le projet, d'où la difficulté de la manœuvre !

    Que veux-tu dire par "présentation de ce genre" ?

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  3. J'entends par là des projets de renouvellement urbain à l'étranger par exemple...

    Ta présentation me motive à écrire sur les politiques de bulldozer au USA comme à Detroit. Affaire à suivre. ;)

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  4. Ah ok ! Je n'ai pas prévu de faire une série dédiée au sujet ! Mais pourquoi pas !
    Avec Detroit y'a toujours un truc à dire oui (DIY...). C'est à réfléchir !

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