En français, cela signifie «nouvelle aciérie» et cela peut nous laisser songeur sur la finalité de cet endroit…
Il s'agit d'une ville nouvelle polonaise datant des années 1945. Complexe industriel et de logements dans la partie Ouest de Krakow, Nowa Huta se retrouve aujourd'hui être l'un des symboles marquants de la période de l’industrialisation socialiste polonaise.
Ce quartier ne me disait encore rien il y a 5 ans. Pourtant, j'avais déjà effectué 2 voyages dans cette ville. Il faut croire que j'avais loupé quelque chose ! Dans un reportage à la télé décrivant cet endroit, j'avais retenu une chose : c'est un ancien quartier communiste où vient s'installer de nombreux artistes. Cela m'a tout de suite fait penser au Tacheles à Berlin par exemple. C'est un endroit très surprenant dans un vieil immeuble à l'Est de la ville, qui est aujourd'hui une résidence pour artistes et un espace festif très connu dans la ville et en Europe. Nous retrouvons aussi ce type de réappropriation en France comme à la Belle de Mai à Marseille.
Lors de mon dernier périple à Krakow, je ne pouvais pas louper une expédition comme ça à Nowa Huta ! Curieuse, intéressée par l'histoire et la retranscription du pouvoir dans l'architecture et l'urbanisme, ça a été l'une de mes premières expériences dans un univers architectural très marqué par le communisme. Surprenant ! Captivant ! Cela m'a permis de me préparer à la découverte de Bucarest en Roumanie, une autre ville encore plus étrange et radicale…
A l'écart du cœur historique, nous pouvons accéder à Nowa Huta en tramway en 45 minutes environ depuis le centre-ville. De plus en plus de touristes viennent visiter ce quartier qui offre une autre image de la ville. Nous ne venons plus uniquement à Krakow pour visiter « cette ville aux 100 églises », ou faire escale pour aller découvrir Auschwitz-Birkenau quelques kilomètres plus loin…
Bref, ce quartier vaut le détour et permet de découvrir la face cachée de cette ville, et de replonger dans l'histoire du pays et de cette période qui a marqué les esprits de beaucoup de polonais.
SITUATION DU QUARTIER
Carte issue de l'article "Identités, développement local et territoires : Nowa Huta et Cracovie", paru dans la revue Geocarrefour, le 1 Septembre 2008
RAPPEL HISTORIQUE
Après la Seconde Guerre Mondiale, la Pologne cherche à se reconstruire. En 1945, le pays s'appelle dorénavant la «République du peuple de Pologne», en lien étroit avec les influences soviétiques. Le nouveau pouvoir à peine installé, le président polonais Bolesław Bierut se voit recevoir en 1946 une commande de Staline : il doit réaliser une grande usine métallurgique. Initialement pensée près de la Silésie, c'est la ville de Krakow qui est choisi pour accueillir cette ville nouvelle.
Krakow se trouve être depuis toujours l'un de plus grands centres culturels de la Pologne, voire de l'Europe Centrale avec ses églises et ses universités, et son passé en tant que capitale royale. Les locaux étaient d'ailleurs très réticents face à l'arrivée d'un projet de cette ampleur, pensant qu'une telle entreprise nuirait à l'image de la ville. Face à une population plutôt élitiste, il s'agissait de rendre cette ville un symbole du socialisme, voire de transformer son image bourgeoise et riche culturellement en ville où règne le prolétariat et accueillant de nombreux ouvriers permettant de développer la richesse économique du pays. Par sa place stratégique à proximité de l'Autriche-Hongrie et de la Russie, Nowa Huta était l'opportunité pour les soviétiques de montrer leur supériorité économique à l'Europe de l'Ouest.
Malgré les mécontentements et revendications des habitants, le projet démarre dès 1947. Les plans de la ville nouvelle et de son aciérie sont intégrés dans le plan triennal polonais, mais aussi dans le plan de développement de la région de Krakow.
C'est en 1949 que débute le chantier. En février, il est choisi le futur terrain.
En 1950, les premiers logements sont livrés.
Conçue pour être indépendante, Nowa Huta a été rattaché à la ville de Krakow en 1951.
LA PENSÉE URBAINE MISE EN ŒUVRE
Comme toutes les villes nouvelles construites à cette époque là en Europe de l'Est et Central, Nowa Huta est pensée à partir des principes fondateurs du réalisme socialiste. L'architecture produite doit refléter la puissance du pouvoir et cette société nouvelle qui cherche à s'affirmer. Le choix d'implantation n'est donc pas anodin car il doit répondre à des objectifs idéologiques et économiques instaurés par le gouvernement en place.
Ici, le site choisi est un terrain vierge en périphérie de ville. Dans les principes d'urbanisation instaurés, il faut pouvoir bâtir en étant libre de l'héritage culturel et architectural de la ville historique. Ces terrains plats et proche de la Vistule des villages de Pleszow et de Mogila, choisis par des spécialistes soviétiques, est une aubaine pour mettre en application tous ces idéaux. Par ailleurs, l'emplacement est stratégique du fait de la proximité des infrastructures routières et ferroviaires, permettant de connecter la haute Silésie et Krakow avec le reste de l'URSS. L'activité rurale étant en déclin dans cette région, le potentiel en main-d'œuvre n'est pas négligeable.
Nowa Huta est ainsi devenu un symbole issu du modèle soviétique, par son architecture et son organisation spatiale. La ville est structurée autour d'un arc de cercle conçu en tant que place centrale. Trois artères en découlent. Son architecture est très marquée et représentative. Le bâti qui entoure ces axes est inspiré par le style stalinien néo-classique qui s'inspire des styles Renaissance, Baroques et Classique. Les années 1960 ont vu apparaître des constructions aux tendances modernistes et celles apparues dans les années 1980 prennent plus des inspirations post-modernistes.
Les architectes décident de développer une pensée beaucoup plus personnelle de la vie urbaine dans ce quartier. Leurs objectifs est de créer un lieu de vie pour les habitants où il fait bon vivre et qui répondent à leur besoin.
Dans les années 1950, seront donc construits différentes infrastructures répondant à ces convictions sociétales : hôpital, lignes de tramway, magasins, restaurants, établissements scolaires, théâtre populaire, etc. Par la suite, il sera également construit deux grands cinémas, deux stades, un parc aquatique et plusieurs centres culturels. D'ailleurs, le Centre de la Culture de Nowa Huta, est considéré aujourd’hui comme l’un des plus dynamiques du pays !
De plus de nombreux espaces verts sont implantés pour améliorer le cadre et l'atmosphère. Mais en paradoxe, l' aciérie produira énormément de pollution.
Il est intéressant de noter que cette ville nouvelle est à la base réfléchie sans espace dédié au culte. Cependant, elle voit apparaître en 1977 sa première église après une mobilisation forte des habitants, soutenue par le cardinal Karol Wojtyla (Jean-Paul II), pour obtenir le droit d'avoir une église à proximité de leur lieu de vie.
Aujourd'hui, ce quartier représente le mieux le style architecturale polonais développait pendant cette période. En effet, même si, des principes fédérateurs d'urbanisation étaient développé dans toute l'URSS, chacun des pays de la fédération a adopté un style plus particulier.
AUJOURD'HUI, QUELLE PLACE POUR CE QUARTIER ?
Ce quartier atteint son apogée dans les années 1970. Très dynamique, il contribue fortement au développement de la région. L'aciérie a employé jusqu'à 43 000 ouvriers. La ville nouvelle connaît donc une explosion démographique issue d'une immigration venant des campagnes. La ville de Krakow s'agrandit et doit continuer à se développer.
Les années 1990 fragilisent énormément le quartier. En effet, la chute des régimes socialistes réinterroge complètement le devenir de ces quartiers et de leurs activités économiques comme Nova Huta et son aciérie.
Il se pose alors dès cette période des questions sur le devenir de ce quartier. La reconversion du complexe industriel reste difficile. Cette industrie a beaucoup pollué son environnement proche, sans oublié son emprise sur le territoire. C'est un chantier important qui attend la ville de Krakow.
La transition ne se fait pas sans peine, même si il y a une véritable volonté d'intégrer le quartier au maximum dans les dynamiques urbaines, économiques et sociales de la ville. Par exemple, ils mettent à la fin des années 1990, une «zone économique spéciale» qui intègre les quartiers entre Nowa Huta et le centre historique. L'objectif est d'attirer des entreprises dans ce vide urbain car jusqu'à présent, il n'y avait aucune continuité bâtie mise à part une ligne de tramway. Nowa Huta a été pensé jusqu'au bout comme une vraie ville, différente de Krakow bien qu'elle en fasse partie depuis 1951.
Il ne faut pas non plus oublié que Nowa Huta compte actuellement 200 000 personnes environ : elle est le quartier le plus peuplé de la ville.
Depuis peu, c'est un quartier «à la mode».
Ce quartier était pourtant détesté par les Cracoviens. Personne ne voulait y aller. Trop de raisons visiblement a entrainé une telle image négative: trop en contraste avec l'image royale de la ville, images des bas quartiers où se développaient beaucoup d'actes de vandalisme, où existait la pauvreté, la prostitution, etc.
Pourquoi un tel changement de position ? Qu'est-ce qui incitent certains à venir ?
L'architecture et l'atmosphère du lieu sont ce pour quoi les artistes et les touristes sont attirés, séduits par le lieu. Ce qui contraste avec les célèbres quartiers du centre de Krakow en fait sa force et son authenticité. Ce quartier fascine.
Aujourd'hui, le quartier commence à revivre avec le développement de projets culturels, artistiques et patrimoniaux.
Est-ce que c'est le début d'une reconversion ?
Réussira-t-elle à long terme à transformer son image ?
Est-ce que la culture est l'élément moteur qui permettra d'unifier la ville et ses contrastes architecturales l'une de ses forces ?
Je termine sur ces questions, car je reste en attente sur son devenir et j'attends de voir comment ce quartier sera d'ici 10-20 ans…
PAS A PAS : MA DÉCOUVERTE DU QUARTIER
Ce jour-là, il pleuvait. Cela ne rendait pas le lieu très palpitant : gris, sinistre et froid. Une belle balade les pieds mouillés quoi... Lorsque l'on descend du tram, la première chose que nous voyons, c'est cette immense place très structurée par des immeubles aux façades lisses, produites par les enduits et les matériaux utilisés. Sans oublier les arcades qui ajoutent une touche majestueuse au lieu.
Tout me paraît propre. Le sol brille avec l'eau. Est-ce que ça glisse ?
Un véritable retour en arrière pour moi : je me sens en décalage totale avec les architectures que nous pouvons connaître actuellement dans les grandes capitales. Je crois que l'effet souhaité est garanti !
Nous avançons, nous passons des porches, et nous explorons ces grandes avenues : je me sens minuscule même si les immeubles ne sont pas si hauts que ça, tout me paraît surdimensionné et imposant !
Je reste marquée par l'espace dédié à l'habitant et à sa déambulation dans le lieu. En plus, c'est verdoyant, il y a des parcs, des étandues de pelouses et même certains habitants ont aménagé leur propre rez de jardin en bas des immeubles. Mais c'est aussi, d'après ce que j'ai pu voir ailleurs, une pratique très ancrée dans la culture de ces pays.
Je suis fasciné par la force du lieu, mais je reste toutefois sceptique. Où sont les gens ? Il faudra que je revienne un jour plus ensoleillé, j'imagine... Un jour où l'endroit est animé. Même si il y a 200 000 habitants dans le coin... Je n'ai vu que leur voiture pour un samedi matin. C'était presque desertique.
"Nowa Huta, l’ironie de l’histoire"
"Nowa Huta – Cracovie : vers la réconciliation?"
"Identités, développement local et territoires : Nowa Huta et Cracovie"
Écrit par : Charline S.
Photographies :
Charline Sowa
google.images
Sources :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Nowa_Huta
http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=781
http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=774
http://www.courrierinternational.com/article/2006/09/21/nowa-huta-son-acierie-ses-lieux-branches
http://bryla.gazetadom.pl/bryla/1,85301,8942979,Nowa_Huta_1949_.html
http://geocarrefour.revues.org/927
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